Lafayette - M. Binotto, nous avons retrouvé vos dessins dans les archives du Centre Pompidou. Nous avons pré-identifié quatre détails qui nous paraissent caractéristiques du travail de Prouvé. L’Orion étant conçu lors de sa période ingénieur-conseil (1967-84), la dernière époque de sa carrière, ces détail ont du être pensés et optimisés de nombreuses fois. Nous souhaiterions en discuter avec vous.
Serge Binotto - Vous avez trouvé effectivement quelquechose qui est assez rare!
Quand Jallat et Péron sont venu voir Prouvé au début, ils lui ont présenté l’immeuble et ont demandé qu’on fasse un avant-projet de façade et de charpente. Alors moi j’ai fais les avant-projets. Jallat et Péron sont partis et ils sont revenu une deuxième fois pour demander à M. Prouvé de faire les plans d’appel d’offre. Là dessus, trois personnes ont travaillé : M. Zeller qui est décédé, qui a fait les plans de détails et une dame qui était à l’atelier. Les calculs de charpente, c’est M. Léon Pétrov. Les archives de Pétrov, M. Cinqulabre les a récupéré et elles sont à Pompidou. On devrait pouvoir retrouver les notes de calculs. La charpente a été dessiné chez Prouvé. Voilà ce que je peux vous dire concernant ce bâtiment en préambule.
L. - Le premier détail concerne les fenêtres. Elles sont composées de baie-basculante sans cadre à glace sécurit de type parsol en teinte bronze. A l’époque, en paralllèle de l’Orion vous étiez entrain de concevoir la façade du Siège du Parti communiste avec Niemeyer. On retrouve des similitudes : joint néoprène assurant l’étanchéité par compression venant de l’industrie automobile, fenêtre à bascule vers l’extérieur qui règle des problèmes de ruissellement, verre teinté pour atténuer le rayonnement solaire.
Ces baies ont été remplacées lors de la réhabilitation des années 90 par des fenêtres à menuiseries épaisses et il nous semble fondamental de retrouver les éléments iconiques de la conception initiale. Prouvé est connu pour régler plusieurs problématiques techniques à la fois par un seul détail. Comment ces baies ont-elles été conçues?
S.B. - C’était une glace trempée. On avait composé avec le concours d’un fabricant un joint néoprène qui devait faire l’étanchéité en haut et en bas. Ce joint néoprène est assez compliqué, mais on l’a fait. Par contre, la qualité des joints néoprène n’était pas ce qu’elle est maintenant. Et je crois que c’est parceque la fenêtre se ceintre un peu et que les joints ont durçi que l’étanchéité devait laisser un peu à désirer.
Par contre les chassis de fenêtre vous ne pourrez pas les conserver telle que nous les avions prévu à l’origine. Vous allez devoir mettre du double vitrage.
L. - Le mur-rideau est composé de panneaux-sandwich de type AUBECQ et d’un bardage en bandes verticales en alumium extrudé anodisé sur un treilli métallique raidisseur qui rythme la façade tous les 3,15m. Le panneau-sandwich est visible depuis l’intérieur et à l’extérieur en allège, avec une finition émaillée orange. A l’inverse de la réhabilitation des années 1990 qui le cache depuis l’intérieur, nous souhaiterions réhabiliter la façade de manière la moins intrusive possible, en repensant les usages des plateaux selon le confort thermique ressenti.
Vous aviez concu une façade légère de 10cm d’épaisseur dont 4cm de mousse polyuréthane isolante, donc très peu isolée. D’un autre côté, on sent une intelligence environnementale de Prouvé dans des projets comme la Maison tropicale.
Sur l’Orion, bien que la façade soit très systématique, y avait-il des subtilités permettant de faire réagir le bâtiment à son environnement comme des éléments d’occultations des apports solaire ou de ventilation naturelle ?
S. B. - Les panneaux étaient très peu isolés, effectivement. Mais devant les panneaux, il y avait ce bardage qui devaient faire lame d’air, ce qui isolait un peu mieux. Les bandes d’aluminium que vous voyez de 120-130mm de large étaient clipées.
L. - Oui, c’est un détail de clip qu’on voit sur le plan 22, le détail d’attache en nylon.
S.B. - Voilà, c’est ce que j’allais vous dire, en nylon exactement ! C’est typiquement le croquis que j’avais donné à M. Jallat à l’époque. Parcequ’on pouvait les clipper comme on voulait et ça coulisse en même temps. Si vous regardez bien le clip, les bandes peuvent coulisser avec la dilatation de la façade au nord ou au sud. Ca permet une certaine souplesse dans l’habillage.
L. - Le raidisseur en aluminium extrudé anodisé en rez-de-dalle nous semble synthétiser le rapport à l’industrie de Prouvé. Le profilé est érigé en symbole de l’industrialisation dans les publicités de la CIMT4, et en même temps son épine est tellement dessinée qu’elle est quasiment réalisée «sur mesure».
Vous veniez de réaliser à l’époque le Palais des Expositions de Grenoble, un bâtiment de 20 000m2 construit en 8 mois. Ici aussi le chantier de réhabilitation va être court (16 mois). Selon nous, réhabiliter Prouvé, c’est aussi retrouver cette intelligence industrielle pour permettre de maîtriser les délais et les coûts. Quels conseils pourriez-vous nous donner sur l’industrialisation ? Quels éléments devraient rester industriels dans la réhabilitation du bâtiment ?
S. B. - Les profils en aluminum ? C’est un classique de Prouvé ça.
Il faut au moins retrouver les profils d’origine, qui étaient composés d’un raidisseur qui recevait deux joints néoprène et une gorge à l’intérieur qui recevait une clame, qui tourne quand on met la parclose.
L. - En terme d’industrialisation, nous avons regardé les différentes entreprises qui étaient citées dans l’appel d’offre. La plupart existe encore.
S.B. - Vous pouvez me les citer ? Je n’ai pas suivi le chantier parcequ’à l’époque je construisais mon bateau.
L. - Il y avait Aubecq pour les panneauxs-sandwich par exemple. Les établissement Dalmas pour le patio et les établissements Gross pour la charpente de l’escalier.
S.B. - Les panneaux orange, c’est les Emailleries Saint-Maurice ou les Emailleries Alsaciennes. C’est des panneaux qui sont assez grands et je crois que c’est un problème de dimension de four. L’Emaillerie Saint-Maurice a disparu et les Emailleries Elsacienne se sont reconverties et ils ne font plus que de l’aluminium double paroies.
L. - On aimerait déposer les élements de bardage en aluminium, les nettoyer et les reposer telle quelle pour garder l’aluminium historique. Par contre les panneaux sandwich devront être changé puisque les niveaux de performance thermiques sont beaucoup plus élevées aujourd’hui. On aimerait retouver le dessin que vous aviez fait à l’époque.
S.B. - Il existe des panneaux acier avec de la mousse de polyuréthane jusqu’à 12cm d’épaisseur. Je crois que c’est ce que vous avez de mieux à faire : vous ne touchez pas à l’extérieur mais vous mettez de l’épaisseur vers l’intérieur.
L. - Dernier détail symbolique : dans vos dessins, le niveau de toiture est indiqué en béton armé. Les relevés montrent qu’ils ont été réalisés en plancher collaborant profitant de l’alliance béton-acier pour réduire la dalle à 13,5cm. Avec l’isolation, l’étanchéité et les gravillons, le complexe de toiture atteint difficilement 23,5 cm. Il est extrêment léger et nous semble représentatif de la logique d’économie de matière de l’époque. Cela fait écho à la tour Nobel à la Défense sur laquelle vous veniez de travailler, dont les châpes de plancher étaient optimisées à 6,5cm d’épaisseur.
Si l’on souhaite végétaliser la toiture sans toucher aux descentes de charges existantes, il va falloir réduire le poid de certains éléments de construction non-patrimoniaux, donc les reconstruire sans suivre la conception initiale.
S. B. - Alors pourquoi est-ce qu’ils veulent végétaliser ? Parceque, je crois, depuis les fenêtres de l’immeuble rouge qui est en face, on voit la toiture du bâtiment qui n’est pas très jolie. Mais attention vous savez ce bâtiment est posé sur la dalle. A l’époque, je savais que l’architecte avait des soucis concernant les structures béton de cette dalle. C’est pour ça qu’ il ne voulait pas qu’on surcharge de trop ce bâtiment. Il ne va pas falloir recharger trop parceque c’était vraiment très juste point de vue du calcul de structure.
L. - Aujourd’hui une piste pour pouvoir végétaliser la toiture serait par exemple, d’étudier la possibilité de reconstruire cette dalle, qui est de toute façon amienté.
S.B. - Il faudrait calculer le poid au mètre carré que vous supprimez par rapport au poid au mètre carré que vous rajoutez.
L. - Quels éléments n’ont pas de valeur patrimoniale et pourraient être repensés ? Est ce que ca vous dérange si l’on change la conception de la dalle de toiture ?
S. B. - Oh rien ne me dérange pour ce bâtiment ! Il n’est pas à moi !
D’ailleurs, je vais vous dire il est tellement compliqué... que je ne l’aime pas !
La seule chose qui me fait rigoler c’est que vous avez aux quatres angles des poteaux qui sont posés sur des billes ; des billes en haut et des billes en bas. C’est la seule chose qui me plaît ! Ca permettait une certaine dilatation, certains mouvements. C’était Pétrov qui nous avait incité à proposer ces phénomènes de dilatation. Il y a pas beaucoup de contreventement dans ce bâtiment...
L. - Ceux-là on va essayer des garder alors ! Les bureaux de la SemPariSeine restent sous la dalle, du coup on ne touchera pas aux structures.
S.B. - Pour ça, vive le marteau piqueur, vous savez ca fait toujours partir ceux qui n’ont pas envie de travailler !